Alian est un personnage complexe, dont Sylvie est profondément amoureuse, même si, parfois, la lassitude semble l'emporter sur tout autre sentiment.
Annecy : la beauté d'un lieu ne suffit pas toujours à dissiper les malenterndus |
Alian relève la tête et croise son regard. Surpris,
il lui sourit et une douceur infinie transparaît sur son visage.
Sylvie, cependant, discerne clairement
l’empreinte de la tristesse, à peine perceptible, qui voile en permanence son
regard.
Elle lui rend son sourire et noie ses
préoccupations dans le travail qui l’accapare. Ses jambes la font souffrir.
C’est bien connu, le métier de serveuse n’est pas le plus reposant et le
piétinement continu ne favorise pas une bonne circulation sanguine.
Jusqu’à présent, il ne leur était pas
possible financièrement d’embaucher quelqu’un, mais leur chiffre d’affaires de
ces neuf derniers mois étant en constante progression, l’idée mérite d’être
approfondie.
Cela la ramène à la discussion de ce soir.
Alian sera contre, à n’en pas douter. Tourmenté par les incertitudes de
l’avenir, il préférera redoubler d’efforts plutôt que de devoir assumer des
charges supplémentaires.
Sauf que Sylvie vieillit et aimerait mettre
la pédale douce. Assurer le service en plus de la gestion du restaurant devient
trop harassant. À bientôt quarante-six ans, elle estime avoir déjà beaucoup
donné à son métier et souhaiterait à présent consacrer davantage de temps à sa
vie personnelle.
Le
temps passe si vite, déjà la moitié de faite… enfin, a priori!
Des clients la remercient et la
complimentent sur la qualité de ses services. C’est le plus beau cadeau qu’on
puisse lui faire.
Enfin, elle peut fermer à clef la porte.
Sylvie craignait que des touristes ne franchissent l’entrée du restaurant peu
de temps avant la fermeture, auquel cas, leur après-midi de repos se serait
réduite à une peau de chagrin, mais fort heureusement, ce ne fut pas le cas,
malgré le soleil magnifique qui illumine le quartier du vieil Annecy où ils
officient.
Sylvie a hâte de prendre un bain de soleil
sur le balcon de leur modeste appartement, situé en banlieue. Les prix des
loyers étant exorbitants dans le chef-lieu de la Haute-Savoie, ils se
contentent pour le moment d’un F1 à Cran-Gévrier, mais Sylvie espère bientôt
pouvoir emménager dans un logement plus spacieux.
Auparavant, il faut ranger la salle,
nettoyer et faire la caisse. Alian, qui a fini de mettre en ordre la cuisine,
vient lui donner un coup de main.
-
Ça a bien marché aujourd’hui,
non?
-
Oui, nous avons fait
quatre-vingt-deux couverts!
-
Je m’disais aussi! Je n’ai pas
eu le temps de lever le nez des fourneaux!
Tous deux sont ravis, mais Sylvie sent une
petite boule enfler dans sa gorge. Elle se connaît, elle ne pourra jamais tenir
jusqu’à ce soir. Autant en parler tout de suite.
-
Justement. Tu sais, j’ai
réfléchi…
Déjà, elle voit le visage de son mari
s’assombrir. Elle respire profondément et poursuit :
-
J’ai de plus en plus de mal à
tenir le rythme en salle et, si nous devions accueillir encore plus de clients,
le service en pâtirait.
Elle a soigneusement choisi ses arguments.
D’abord, susciter la compassion à son égard, puis soulever le problème de la
qualité professionnelle offerte aux consommateurs.
-
Ok. Qu’est-ce que tu proposes?
Le ton est froid; Alian reste sur ses
gardes et ne montre aucun signe de compréhension.
-
J’ai bien étudié la progression
de notre chiffre d’affaires. Nous pouvons nous permettre d’embaucher…
-
Je m’en doutais! C’est donc
cela? À peine nous commençons à gagner plus, toi, tu veux déjà prendre des
risques!
-
Quels risques? Si nous prenons
un intérimaire, je ne vois pas où est le problème.
-
C’est ça, un petit jeune qui
n’y connaît rien et qui va ruiner notre réputation en moins de temps qu’il ne
faut pour le dire! Fameuse, ton idée!
Pourquoi Alian est-il si prévisible? Si
seulement, c’était dans le bon sens. Sylvie, fatiguée et découragée, ne sait
plus quoi dire. Elle aurait peut-être dû attendre qu’ils se soient reposés un
peu avant d’entamer cette discussion. Elle se reproche son impatience.
Son mari la prend doucement dans ses bras.
-
Je suis désolé de m’emporter
ainsi. La fatigue, sans doute. On rentre? On pourra en rediscuter plus tard, si
tu veux.
Bien qu’elle se sente réconfortée, Sylvie
sait que la partie n’est pas gagnée. Quand Alian dit cela, la discussion n’a en
général jamais lieu.
Cependant, pour le moment, seul compte cet
après-midi de liberté en commun, dont elle a vraiment besoin. Tant pis pour le
ménage, le rangement et toutes les réjouissances qui patientent depuis le début
de la semaine!
Aujourd’hui, farniente, comme le disent si bien leurs voisins proches italiens.
Sylvie et Alian s'aiment ; c'est indubitable. Seulement, l'amour n'est pas toujours qu'une histoire de coeur. Sylvie le sait et cet après-midi de détente bien mérité n'est peut-être qu'une pause avant la tempête.
Bonne fin de semaine à chacun d'entre vous. Je vous souhaite de profiter au mieux de chaque moment offert par la vie :-)
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