Pff ! Comme je l'évoquais dans un précédent article, le temps passe trop vite, même après le changement d'heure !
En tout cas, le travail de mise en page progresse. La couverture est prête !
Je suis ravie ! Grâce à vos commentaires et au travail d'une personne très compétente, mon roman a gagné une très belle couverture que vous pourrez bientôt découvrir...
En attendant, je vous livre la scène que Layane espère décisive pour orienter sa recherche. Quant à Sylvie, je vous laisse découvrir l'étrange rencontre qui l'obligera à se remettre en question.
La rue offre des rencontres inattendues |
C’est alors qu’elle s’approche :
-
Un dessert ?
-
Non, merci. Un café, s’il vous
plaît.
-
Je vous l’apporte tout de
suite.
Je vais enfin savoir de quoi il retourne.
-
Tenez, votre café.
Puis, elle change de ton et me glisse tout
bas :
-
Je n’ai pas eu le temps d’écrire.
Quand vous avez parlé de celui que vous recherchez, ça m’a tout de suite
rappelé ce cuisinier qu’on avait embauché. Il était jeune, pas plus de vingt ou
vingt-cinq ans, je ne sais plus. On en était content, mon mari et moi, il
travaillait bien.
Et puis, je ne sais pas ce qui s’est
passé. Du jour au lendemain, il a commencé par arriver en retard, ensuite, il
trouvait des excuses pour partir plus tôt. En cuisine, il oubliait certains
ingrédients sur les pizzas ou les faisait brûler.
Bref, mon mari s’est énervé. Il faut le
comprendre, les clients étaient mécontents et pour nous, c’était vraiment
embêtant, d’autant plus qu’on n’était pas ouvert depuis longtemps, alors, il
nous fallait nous bâtir une bonne réputation.
Mon mari était très déçu. Il avait misé sur
ce gars et pensait avoir trouvé un bon employé. D’abord, il a cherché à lui
parler, à essayer de comprendre ce qui n’allait pas, mais pas moyen d’obtenir
la moindre information.
Et le jour où il est arrivé, imbibé
d’alcool, ça a été la goutte de trop, si je puis dire. Mon mari a vu rouge et
l’a mis dehors violemment. Il était hors de lui.
Trop, c’est trop, vous comprenez ?
Et sa colère était à la mesure de sa déception. Il l’a licencié pour faute
grave, en sachant qu’il aurait bien du mal à retrouver du travail dans ces
conditions, mais je n’ai rien pu faire.
C’est pour ça… cette histoire m’a laissé
un goût de culpabilité, alors, si aujourd’hui, je peux faire quelque chose.
Abasourdie, les pensées s’entrechoquent
dans ma tête. Puis, la question, qui me taraude depuis ma première visite,
surgit :
-
Mais pourquoi votre mari m’a
dit qu’il n’embauchait pas les étrangers ? Pourquoi ? Quel rapport ?
À cet instant, le patron ouvre la porte
donnant sur la salle. Très vite, sa femme me chuchote en reprenant son plateau :
-
L’homme que vous cherchez
faisait étranger, c’est pour ça.
-
Mais d’où venait-il ?
Comment s’appelle-t-il ?
-
Il venait de Compiègne, mais il
était très brun, les yeux foncés, pas comme on s’imagine les gens du nord, quoi !
Il…
-
Qu’est-ce que vous faites encore
là ?
Le patron fonce vers ma table, tandis que
sa femme s’éclipse immédiatement.
-
Je me suis offert une de vos
pizzas, que j’ai d’ailleurs fort appréciée. Pourquoi ?
Feindre l’idiote est une de mes
spécialités, car j’ai souvent constaté que ça me permettait de sortir
facilement de beaucoup de situations délicates.
Effectivement, le patron me regarde, bouche
bée, ne sachant plus très bien quelle contenance adoptée .
-
Très bien. Tant mieux.
L’addition ?
-
Oh, mais vous faites le service
aussi ?
Il me lance un regard noir et appelle sa
serveuse, en tournant les talons. Je le vois se diriger directement vers sa
femme et lui parler à l’oreille. Tous deux se rendent ensuite dans la cuisine.
J’espère qu’elle saura mentir aisément.
Pour l’heure, je m’empresse de régler mon
repas avant de quitter le restaurant, sans demander mon reste.
Les jours se suivent et se ressemblent pour
Sylvie et Alian. Cuisiner, servir, gérer, nettoyer et tenter, seulement tenter,
de vivre un peu à côté.
Et parfois, une parole, une rencontre qui
transfigure le quotidien et marque à jamais.
Nous sommes vendredi. La fatigue de la
semaine se fait sentir et Sylvie éprouve de plus en plus de difficultés à se
lever le matin. Au manque d’énergie se mêle l’absence d’envie et ça l’inquiète.
Elle a conscience de rentrer dans une spirale dont il n’est pas aisé de sortir
et qui peut s’avérer hautement destructrice.
La journée a bien commencé pourtant. Alian
s’est levé avant elle et a préparé un excellent petit-déjeuner, composé de ce
dont elle raffole : jus d’orange, pancakes au sucre roux et thé vert
parfumé au jasmin.
Malgré son peu d’appétit, elle s’est forcée
à y faire honneur pour témoigner sa gratitude, mais aussi, parce qu’elle sait
qu’Alian n’aurait pas compris que ce ne soit pas le cas.
Ce copieux repas eut le mérite de leur
permettre de ralentir la course du temps et d’apprécier le calme de leur
appartement, avant le brouhaha permanent lié à l’affluence des clients au
restaurant.
Malheureusement, une fois arrivés sur leur
lieu de travail, Alian s’énerve tout de suite, parce que la commande de salades,
qu’il a reçue, s’avère de très mauvaise qualité. Or, midi approche et les menus
ne peuvent se concevoir sans salade verte en accompagnement.
-
J’ai ma tartiflette à terminer
et les desserts à préparer. Je n’ai pas le temps de…
-
Ne t’inquiète pas, j’y vais. Je
vais chercher quelques salades et je t’aiderai en cuisine avant que les clients
n’arrivent. De mon côté, tout est prêt.
Soulagé, Alian se remet de suite au
travail. Sylvie aurait aimé un « merci » ou un baiser, mais…
-
Tu en prends une douzaine, je
m’arrangerai !
Sylvie… Merci !
Ah
quand même !
En fait, elle est contente de cette excuse
pour sortir un peu. Le soleil tape fort et les rues sont bondées. Elle entend
un peu plus loin la mélodie qui accompagne probablement un artiste de rue qui
fait son numéro, dans l’espoir d’être repéré et gagner de quoi continuer.
Elle aime cette ambiance, les sourires qui
s’affichent sur les visages des spectateurs tantôt émerveillés, tantôt surpris,
un instant hors du temps, hors de leurs tracas quotidiens.
Depuis quand Alian et elle ne se sont-ils
pas promenés dans le dédale des ruelles anciennes, traversées par le Thiou, la
plus petite rivière de France ?
Perdue dans ses pensées, Sylvie zigzague
entre les touristes, quand une phrase prononcée négligemment par l’un d’eux se
faufile jusqu’à ses oreilles.
-
Tu vois, moi, ces gars, j’leur
donne rien. Parce que, si tu y réfléchis bien, tu te rends compte qu’ils ne
servent à rien, donc, je suis désolé, mais la société ne leur doit plus rien.
Logique, non ?
-
C’est clair ! Si t’es pas
utile à la société, tu n’as pas à lui réclamer quoi que ce soit.
Sylvie s’est arrêtée net. Atterrée, elle
observe les deux comparses, insouciants et sûrs d’eux, jeter un œil dédaigneux
sur un SDF assis à même le sol, puis poursuivre leur chemin.
C’est
impossible ! On ne peut pas raisonner comme ça…
Les gens passent. La plupart, sans un
regard. Quelques-uns jettent une pièce ou glissent un sourire à cet homme d’un
âge indéfinissable. Il est assis en tailleur, le dos droit, digne et souriant.
L’on sent qu’il tient à garder une apparence propre et correcte, dernier signe
probablement d’appartenance à la société des hommes.
La scène s’est déroulée très rapidement et
Sylvie se demande à présent si elle n’a pas rêvé. Cette façon d’être et de
penser est tellement à des années-lumière de ses convictions.
Qui est utile à qui ? Dans quelle
mesure ? Être vivant ne suffit-il pas à appartenir à la société et à lui
apporter quelque chose ? Comment juger de ce que la société doit à chacun ?
Elle se souvient d’un prospectus sur un
dénommé Pierre Rabhi et les actions menées par son association. Une phrase
avait retenu son attention. Elle évoquait le fait que, dans notre société, tout
ce qui n’a pas de parité monétaire n’a pas de valeur. En conséquence, chaque
personne est effacée socialement, si elle n’a pas de revenu.
Les propos qu’elle vient d’entendre en sont
l’illustration parfaite.
Absorbée par ses réflexions, elle n’a pas
encore remarqué le regard insistant du SDF sur elle. Quand elle le perçoit, il
lui sourit avec une telle bienveillance qu’elle en est totalement bouleversée.
Mue par une pulsion inconsciente, elle va à
sa rencontre et lui tend la main.
-
Moi, c’est Sylvie.
-
Et moi, Antoine.
Et maintenant ? Elle ne sait plus quoi
dire !
-
Vous allez bien ?
-
Je… oui, bien sûr ! C’est
à vous qu’il faut poser la question !
-
Mais je vais très bien, merci.
Le soleil rayonne tout autour de moi, les gens sont souriants et…
-
Pas tous ! Avez-vous
entendu ce que cet homme a dit de vous ?
-
Chaque jour, j’entends et
j’assiste à des scènes qui pourraient être désagréables pour moi, si j’en
faisais une affaire personnelle, mais ce n’est pas le cas.
Son sourire est contagieux. Sylvie se sent
bien auprès de lui. Elle a envie de prolonger ce contact.
-
Je tiens un restaurant avec mon
mari à deux pas d’ici. Si vous le désirez, vous êtes mon invité.
-
D’accord.
L’homme se lève, prend son sac et la suit.
Tout se fait naturellement, simplement.
Il est parfois des rencontres qui balisent notre chemin de vie.
Bonne journée à tous. Profitez bien les uns des autres :-)