lundi 21 juillet 2014

Pas facile pour Layane...

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Source : walpok.net

Pour vous remettre en mémoire ce qui précède, c'est ici.

Une page se tourne pour Layane.






Un jeune garçon se présente timidement devant l’entrée du magasin. Je le vois ausculter la vitrine pendant un bon moment sans qu’il ne se décide à franchir le seuil d’entrée.
J’hésite, puis je vais à sa rencontre.
-          Tu cherches quelque chose?
-          Oh… euh, oui! Je voudrais une jolie fleur pour dimanche, mais je ne sais pas comment on fait.
-          Comment ça?
-          Eh ben, elle sera fanée d’ici dimanche…
C’est beau, non? J’aime ce métier.
Je lui explique qu’il peut commander la rose bleue qu’il désire et ne venir la chercher que le dimanche matin, fraîche et prête à offrir ses plus beaux atours à sa maman.
Le sourire dont il récompense mes explications ensoleille ma journée et je m’engage silencieusement à lui préparer le plus beau des emballages, puisque Jérémy et moi travaillons toujours les dimanches de fête qui représentent les journées les plus rentables de l’année pour le commerce.
Mon collègue, justement, me fait signe.
-          Il paraît que tu ne reviens pas bosser lundi?
Jérémy dissimule maladroitement sa tristesse. Nous avons pris l’habitude de nous voir presque tous les jours et le joyeux trio que nous formons va éclater. Je refuse encore de me projeter vers ma cessation de travail, mais Jérémy m’oblige à toucher du doigt ce nouveau virage dans ma vie.
Je ne sais que lui répondre. Non, je ne reviens pas. Non, ce n’est pas Nathalie qui est responsable. C’est moi et moi seule et ça me terrifie.
Au lieu de cela, je lui sers la version positive :
-          Je fais un break, ça me fera du bien et autant profiter un peu du système avec tout ce qu’on donne à l’État tous les mois, non?
-          C’est vraiment ton choix?
-          Ben oui, qu’est-ce que tu crois? D’ailleurs, Nathalie m’a dit qu’elle me reprenait quand je le voulais, alors tu vois, y a pas de problème!
Jérémy affiche un air dubitatif, puis hausse les épaules et me lance avant de reprendre le travail :
-          Ok. Je passerai te voir à l’occasion. Tu me prépareras un bon petit plat et je te donnerai des nouvelles du magasin, si t’es gentille, lol!
Je n’ai pas le temps de répliquer, une cliente me sollicite. Dans ma tête, je me suis clairement entendue répondre :
Inutile, la porte sera close!
Les deux jours qui suivent ne me permettent pas de me poser. Je rentre du travail, je mange et me réfugie dans un sommeil peuplé de doutes et d’interrogations prêts à m’assaillir dès que j’ouvre les yeux.
Sauf qu’aujourd’hui, c’est mon dernier jour.
Lorsque je suis arrivée ce matin, tout semblait comme d’habitude sans l’être. Nathalie, trop souriante à mon égard, Jérémy, trop silencieux et moi…
Moi, je me suis levée avant que le réveil ne sonne, les jambes déjà flageolantes. Je ne me suis pas à proprement dit réveillée, puisque je n’ai pas dormi.
La peur de l’inconnu, de la solitude, du vide.
Le souci de moi-même. L’angoisse de me retrouver seule avec moi.
Incapable d’anticiper ce moment, voire même d’y songer, je n’ai encore aucune idée de ce que je vais faire de mon temps libre. Chercher des informations? Évidemment. Mais quoi? Où? Comment?
Au fond, tout au fond de moi, je sens que je sais ce qu’il faut faire. Il suffit d’ôter les couches ténébreuses de ma petite lumière intérieure.
La journée passe beaucoup trop vite. Les heures défilent au pas de course, indifférentes. J’ai le net sentiment que c’est la dernière fois que j’évolue dans ce milieu.
Les yeux brillants du jeune garçon ont récompensé mon travail et m’ont émue plus que je ne saurais le dire.
Se pourrait-il que ce soit vrai? Lorsque l’on donne avec le coeur, on reçoit bien plus encore?
-          Où est-ce que j’ai lu ça déjà?
Bon, les trémolos dans la gorge, les larmes au bord des yeux, le cœur qui frappe trop fort, ça suffit!
Je veux terminer cette journée dans la joie, sûrement pour me donner la force d’assumer mes lendemains incertains.
Le magasin ferme, c’est l’heure de déboucher les bouteilles de champagne et de déguster les petits fours que j’ai achetés pour l’occasion.
Je prépare la table et  attends mes comparses, disparus soudainement. Pas le temps de présager quoi que ce soit, je les vois réapparaître, un immense bouquet de fleurs dans les mains de Nathalie et un petit paquet cadeau dans celles de Jérémy.
-          Rassure-toi. Pas de grands discours, juste l’envie de te dire que nous ne t’oublierons pas.
Pff! Et là, je fais comment pour retenir mon émotion?
Peut-être que la clef, c’est de ne pas la retenir justement. Simplement la laisser passer, parce qu’elle est là, de toute façon.
Là et bien là! Les larmes coulent doucement, tandis que je serre dans mes bras ma patronne, puis Jérémy.
-          Tu n’ouvres pas ton cadeau? Parce que si ce n’avait été que moi, c’est pas ça que j’aurais acheté, mais…
-          Jérémy!
Nathalie met la main sur sa bouche pour le faire taire. Au moins, ça a le mérite d’égayer l’ambiance et j’arrache l’emballage, curieuse de comprendre ce qu’a voulu dire mon collègue.
Un carnet. Un très joli carnet à spirales. La couverture en cuir marron clair s’ouvre sur des pages écrues, chacune ornées d’un petit motif fleuri.
-          À chaque page, une fleur différente qui t’apprendra leur langage. Tu vois, ici, en première page, une fleur de myosotis.
-          Ça, je sais! J’en ai offert à ma dernière copine en lui disant ce que ça voulait dire et… et je m’suis fait jeter!
Nous partons d’un grand éclat de rire tous les trois.
-          Cette fleur signifie pourtant Ne m’oublie pas; c’est que tu avais quelque chose à te faire pardonner d’un peu trop compliqué, non?
-          Pourquoi ça? Tout de suite de ma faute! Pas du tout… Elle était peut-être allergique aux fleurs, c’est tout!
Jérémy, ta maladresse, ton insouciance me manqueront.
-          C’est très gentil. Je ne m’attendais pas…
-          Attends! Ce carnet, c’est pour que tu y notes toutes les phrases, les mots, les citations qui résonnent en toi. Tu vas les écrire au fur et à mesure de tes rencontres et, quand tu reviendras, si tu veux bien, nous les lirons ensemble.
Nous passons une bonne heure à plaisanter, à profiter ensemble de ces derniers instants, comme pour maintenir encore un peu à bonne distance les soucis à venir.
-          Tu as promis, n’est-ce pas? Je compte sur toi pour passer nous voir de temps en temps et garder le contact?
-          Promis! Et… et tu as trouvé quelqu’un pour me remplacer?
-          Oui, en intérim aussi.
-          Un gars ou une fille?
-          Un gars!
-          Non, c’est une blague? Pourquoi t’as fait ça?
Je serre Jérémy dans mes bras en rigolant, tandis qu’il soupire exagérément. Faire le pitre, c’est sa façon de masquer ce qu’il ressent, mais je le connais suffisamment pour deviner sa tristesse.
-          Allez! Tu as dit que tu passerais manger au studio, alors je compte sur toi, ok?
-          Plutôt deux fois qu’une! Enfin… si la bouffe est correcte, bien sûr!
Un petit coup dans les abdos pour montrer mon indignation et je me tourne vers Nathalie qui observe la scène, les yeux brillants.
L’étreinte est silencieuse. Tout est dit déjà. Nous nous reverrons, c’est sûr, mais le chemin qui mènera de l’une à l’autre promet d’être difficile et surprenant.

Le retour au studio se fait la boule au ventre. Le silence m’agresse en ouvrant la porte d’entrée.

Et maintenant ? La suite bientôt pour accompagner Layane sur son chemin de vie...
Belle journée à vous.

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