Ce sera difficile de suivre si vous n'avez pas lu le début qui se trouve ici :-)
être responsable de la vie que l'on aime |
Le retour au studio se fait la boule au
ventre. Le silence m’agresse en ouvrant la porte d’entrée.
Je sais que si je ne décide pas très vite
de la façon dont je vais occuper les prochaines semaines, je risque de sombrer.
Le voyant du répondeur attire mon attention.
Écoute,
ce… c’est absurde toute cette histoire. Il faut que l’on se voie. Tout ça,
c’est du passé. Je… j’ai lourdement payé, si ça peut te rassurer. Rappelle-moi.
Je demeure un petit moment, debout, figée.
Lourdement
payé? Que veut-elle dire? Et moi? Moi, comme
d’habitude, ça ne compte pas ce que je ressens! Et ce n’est pas du passé, au
contraire!
Je sens toute ma colère revenir au galop,
incontrôlable, destructrice. Je jette mes affaires sur le canapé et reviens
effacer le message.
-
Il est exclu que je te
rappelle, je n’ai plus rien à te dire! Moi, ce passé m’intéresse. Tu ne veux
pas m’en parler? Soit! Je vais aller le dénicher ce passé et ce n’est pas toi
qui vas m’en empêcher! Vis ta vie, je m’en fous de savoir que t’en as bavé,
c’est ta responsabilité, pas la mienne!
Je m’assieds enfin, vidée, et le silence
envahit à nouveau la pièce, mais ce n’est pas le même.
Le message de ma mère achève de me
convaincre. Une nouvelle vie m’attend.
Le fait d’avoir pu dire ce que je
ressentais, même sans que ma mère ne puisse l’entendre a libéré ma
détermination. Les derniers barreaux qui entravaient ma liberté d’agir ont
sauté.
Je n’en avais pas conscience, mais le
devoir filial, l’amour, que je porte malgré tout à ma mère, m’empêchaient de
réellement concevoir un projet allant à l’encontre de sa volonté et risquant de
la briser un peu plus.
-
Tu parles! Ça fait vingt ans
que je la connais, vingt ans qu’elle déprime, alors un peu plus, un peu moins!
Elle m’accusera de la faire souffrir et, pour une fois, ce sera vrai!
Je réalise que j’ai toujours connu ma mère
sous l’emprise de la dépression. D’après elle, les antidépresseurs et les somnifères
lui sont indispensables pour affronter le quotidien. Pourquoi?
Quel échec de la médecine, tout de même!
Plus de vingt ans sous traitement sans résultat!
Enfin bref, ce n’est pas mon problème!
Dans l’immédiat, manger est mon problème…
Je repense à Jérémy. Le pauvre ne sait pas
ce qui compose mes repas, sinon il n’aurait jamais eu à l’idée de venir manger
chez moi.
Un sandwich basique au jambon plus tard,
j’éteins la télévision qui m’accorde toujours sa présence, lorsque je dîne. Je
dois à présent définir un plan d’action pour mener à bien mes recherches.
J’en ai besoin pour avancer, pour me
construire, pour savoir qui je suis.
Je ne me souviens pas m’être sentie à ma
place au sein de ma famille. Les parents de ma mère, décédés tous deux quand
j’étais encore petite ne m’ont guère laissé de souvenirs et, comme Aline était
enfant unique, les repas familiaux se sont rapidement résumés à trois
personnes : ma mère, moi et Pierre.
Eh oui, parce que je n’ai jamais pu
apprendre quoi que ce soit au sujet de la famille de mon usurpateur de père.
J’eus beau questionner à de multiples reprises ma mère, tenter différentes
approches avec Pierre, rien à faire.
Les réponses restaient invariablement les
mêmes :
Je
n’ai pas envie de parler d’eux. Ils ne sont plus de ce monde, inutile de
revenir dessus. Ton père ne souhaite pas en parler, de toute façon, ils sont
décédés. Non, ton père n’avait pas de frères, ni de sœurs, que des enfants
uniques dans la famille, c’est aussi bien…
De fait, je m’étais passée d’eux. Par
ailleurs, dans la mesure où je ne m’entendais pas avec Pierre en raison de nos
petites séances privées et de son autorité abusive, ajouté au fait que ma mère,
malgré tous mes efforts, me demeurait un mur froid d’indifférence, on ne peut pas
dire que j’ai expérimenté la valeur des liens du sang.
Sauf qu’aujourd’hui, tout a changé. Je
comprends que mon mal-être latent n’était pas seulement dû aux étranges
relations que j’entretenais avec mes parents, mais aussi à cette conscience
profonde que mes fondations reposaient sur un non-dit.
Beaucoup de familles dissimulent,
paraît-il, des secrets inavouables. Mesure-t-on les conséquences que cela peut
avoir sur les générations à venir? Peut-on évaluer ce que ces tabous charrient
d’incompréhensions et de difficultés à se construire? Ils se transmettent par
héritage, tout comme les biens et les souvenirs. Que doit-on en faire, lorsque,
par surprise, par hasard, au détour de la vie, ils sont mis à nu?
-
Bon, si tu continues comme ça,
tu ne vas guère avancer! Qu’est-ce que j’ai fait de mon agenda encore? Ah, le
voilà!
Être efficace, ne pas me perdre dans des
pensées qui me rendent fragile et instable.
Je décide donc de commencer par m’inscrire
au chômage dès le lendemain, puis je mettrai à plat tout ce que je sais sur mon
nouveau père, sachant que ça ira vite vu le peu de choses que j’ai apprises; le
but, c’est de comprendre comment je peux
obtenir des informations sur lui.
Pour l’heure, il se fait tard et je
m’aperçois avec étonnement que je n’ai pas souffert comme je le pensais de me
retrouver seule, sans lendemains programmés.
-
C’est bon signe! C’est que tu
vas dans le bon sens! Bon, réveil ou pas réveil?
La tentation est forte, maintenant que je
n’ai plus d’obligation à me lever de bonne heure, d’oublier le réveil. J’ai la
nette sensation d’entendre un bref instant un petit diable qui, d’un côté de ma
tête, me souffle de profiter de belles grasses matinées et de l’autre, un petit
ange qui m’exhorte à ne pas me laisser aller!
-
Ok. Je mets le réveil.
Je sais que, si je commence à ne pas me
contraindre, je risque de passer mes journées à traîner dans le studio, le
vague à l’âme et l’avenir en berne.
Pour la première fois depuis longtemps, je
dors d’une traite jusqu’à ce que l’alarme me tire brutalement d’un rêve étrange
au cours duquel Pierre m’apparaissait, le visage triste et tourmenté.
Un instant troublée, je reste entre deux
mondes, puis les rayons du soleil qui filtrent à travers le rideau de ma
fenêtre m’arrachent de mon lit, convaincue que la journée sera belle quoi qu’il
arrive.
-
Si je n’y crois pas, je n’y
arriverai pas!
Merci de me suivre ! N'oubliez pas : vos commentaires sont les bienvenus, quels qu'ils soient !
Je vous souhaite une très belle journée ou une nuit de beaux rêves, selon l'heure à laquelle vous découvrez ces lignes :-)
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